LES LARMES DE LA RAISON
Janvier 2024
Ce matin je roulais seul sous le soleil levant de mon village. La tête dans une brume d’hiver, j’étais parti vers l’endroit où l’air doux embellissait même la vie des gens heureux.
Marchant sur la côte avec mon bocal vide au couvercle en bois de bambou, je voulais capturer l’énergie de ces lieux, tellement pure qu’elle m’aiderait à ne plus raisonner. Après trois ou quatre trouvailles j’étais reparti, les doigts gelés mais la tête vidée. Ce n’était qu’à ce moment que je pus commencer à songer à la réelle intuition, en voyant, sur la route fondue, les herbes bien vertes comme au printemps, à côté des herbes blanches de l’hiver timide. Le contraste était tel que je me revoyais sourire aux gens que je n’aimais pas forcément. Quelle herbe représentait l’intuition ? La verte ou la blanche ? Et laquelle était la raison ?
En continuant, dans les courbes qui formaient la route, je prenais pleinement conscience de mon existence. Je me voyais conduire, les mains tenant un volant, la fumée de ma voiture, et moi, à mes vingt-trois ans. Comme un flash qui me rappellerait que je vivais ce moment, ici et maintenant. Y avait-il plus important que ce présent ? Alors je me garai, dans cette herbe à deux teintes, molle et craquelante à la fois. Le soleil avait bien grandi depuis, je voyais des gouttes d’eau perler sur ces mêmes brins qui étaient pourtant durs quelques minutes avant. Le temps passait, je le voyais, et c’était comme ça. Mais ici, en ce moment et à cet endroit j’étais libre, libre d’écrire ce texte, libre de pleurer. Libre de rire, de sortir m’allonger dans ces herbes si je le voulais.
Alors peu m’importait ce qu’adviendrait le monde, j’aurais goûté au bonheur que certains tentent de s’acheter. Celui de vivre dans un présent libre, conscient et amoureux d’une nature aux milles mystères. Sur mon texte perlent encore les larmes de la raison, d’où se reflète une étrange lumière…
Pourrais-je un jour, écrire un texte sans le pleurer ?