LA PIE
Juillet 2023
J’avais repris la route vers l’est. Il fallait que je fasse de nouvelles prises de vue pour l’exposition Anima que je voulais vraiment mener à terme. Le plus drôle c’était cette sensation que j’avais quand je quittais Roscanvel. Je me sentais vraiment petit et vulnérable, comme si je ne pouvais rien contrôler. Et d’ailleurs c’était le cas, je ne connaissais aucune route, aucun endroit calme où écrire ou encore se reposer, aller aux toilettes. Néanmoins on finit toujours par trouver une place à l’ombre, au calme. Et j’étais assez fier de moi car il y avait d’autres personnes garées sur ces mêmes places. Certaines mangeaient des sandwichs, d’autres dormaient. Je me disais que peut-être j’avais trouvé l’endroit secret des habitants de Saint-Nazaire, qui sait ? Et même sur ces places pourtant privilégiées, dans l’herbe verte du devant, il y avait des centaines de plastiques, de cagettes, de mégots. Sortant de ma séance photo qui m’avait émerveillé de la richesse de l’infiniment petit, je ne pouvais qu’imaginer l’horreur de ces paysages à plus petite échelle. Il y avait deux pies aussi, qui sautaient d’arbre en arbre. Deux pies qui voulaient se cacher, mais qui regardaient le parking et la circulation en arrière-plan. Leurs têtes étaient figées, mais parfois regardaient à droite et à gauche rapidement. Que pensaient-elles? Malgré le fait qu’elles étaient habituées, certainement, elles continuaient de se questionner sur, j’imagine, comment en est-on arrivé là ? C’est impensable quand on regarde bien. Le vert remplacé par le gris, les formes cubiques pensées en remplacement des courbes naturelles de la nature, le parfum des fleurs couvert par l’odeur des carburants. Où allions-nous ? Dans quelle direction ? Certains ne disent que ce n’est qu’un cycle, d’autres perdent espoir. Et si ce n’était qu’un cycle, quand retrouvera-t-on les parfums des débuts ? Je garde espoir grâce à la macro-photo. Anima n’est pas qu’une question d’esthétique. Je me rassure en voyant la richesse de quelques millimètres, et même parfois j’ai l’impression de pouvoir recréer un monde. Alors, le soir, face à l’infinité d’étoiles je respire profondément en me disant : « Même si je n’arrivais pas à sauver le monde du mauvais méandre qu’il traverse, j’aurais fait de mon mieux, allant parfois dans l’inconfort des villes pour essayer de rassembler les gens face à l’idée qui m’anime, elle pourrait tous nous rendre heureux je crois. » Anima représente l’âme. Et je pense que l’âme peut s’élever peu importe l’endroit, l’environnement. L’enveloppe ne doit pas être une barrière. Dans ce troupeau je ne sais pas où me placer, je ne m’y sens pas bien, je ne m’y sens pas moi. Si ça peut te rassurer la pie, moi aussi je regarde de droite à gauche et je mange du plastique. Moi aussi je me cache dans les arbres, mais n’oublie pas que tout est cyclique apparemment, et que certains, souvent muets, agissent pour retrouver le monde dans lequel tu étais heureuse.
PS : Une voiture blanche quitte le parking, roulant sur un gobelet rempli de coca.